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Le recueil de poèmes du Canto General englobe à la fois l’histoire d’un homme et celle de tout un continent, l’Amérique du Sud, alors en proie aux dictatures.Le poète Pablo Neruda y évoque, en des images saisissantes, la naissance de ce continent et l’histoire des peuples qui y ont vécu, qui y vivent, qui souffrent et luttent contre les oppresseurs venus exploiter les hommes et la richesse d’une nature exubérante. |
Une évocation qui, par la profondeur de son propos, confère à l’œuvre son caractère intemporel.
Dans cette exaltation du processus de libération des hommes, Neruda est parvenu à allier violence et humour, tendresse et force d’imprécation. Il recevra le prix Nobel de Littérature en 1971. Le « Chant Général », traduction française de Claude Couffon, paraîtra chez Gallimard en 1977.
C’est sur l’initiative et à la demande du Président Salvador ALLENDE que le texte du Canto General fut mis en musique.
Il était alors président du Chili pour la coalition de gauche, l’Unité Populaire. Il fut renversé le 11 septembre 1973 par le général Pinochet, soutenu par la CIA.
Dès 1971, le compositeur grec Mikis THEODORAKIS entreprend la composition musicale du Canto General en sélectionnant treize poèmes et en associant à deux voix solistes un chœur de grande dimension et un ensemble orchestral de 16 musiciens.
Le Canto General est un hymne à l’Amérique latine et aux nations opprimées en général, entrepris par le poète en 1938, alors qu’il était en fuite et vivait dans la clandestinité, et achevé en 1948. Il est composé de quinze parties, regroupant 231 poèmes, et fut publié pour la première fois au Mexique.
Cet ensemble composite brosse, en un panorama grandiose, une fresque lyrique et épique du continent américain, depuis les temps précolombiens, la conquête et l’indépendance, jusqu’à l’histoire la plus récente. Il mêle son histoire personnelle à celle des hommes, des peuples opprimés, de leurs combats, de leurs révoltes, de leurs espoirs, ainsi que la beauté du continent, de la nature, et du pillage des richesses par les « gringos » (les Nord-Américains).
En y incluant les nations opprimées (comme l’Espagne ou la Grèce), le Canto General s’élargit aux dimensions de l’histoire universelle.
Dans ce tableau démesuré, le chantre a su utiliser un lyrisme qui allie spontanément les formes les plus raffinées aux tonalités les plus âpres, la simplicité la plus sobre à l’invective la plus mordante, et les cris les plus discordants à la mélodie la plus envoûtante.
Ces poèmes épiques et « prosaïques » sont écrits dans un langage abordable parce que même l’auteur savait que certains, n’ayant pas eu accès à l’école, ne pourraient le lire.
Il émane de ce Chant une sorte de minéralité propre aux paysages de la Patagonie, un souffle puissant qui fait déferler des images à un rythme de cheval au galop dans une pampa aride et insoumise…
Intention d’interprétation
La majorité des textes de Neruda sont des récits mettant l’homme au centre de la nature sud-américaine, les forêts, les océans, les constellations, le travail.
Le propos de la mise en scène du Canto General en ce 21e siècle est de faire découvrir la force intérieure de sa lyrique poétique sans en faire un propos alimentant un militantisme revanchard de lutte des classes.
Interpréter actuellement cette œuvre en lui donnant une étiquette porte-étendard révolutionnaire contribuerait à minimiser la teneur intrinsèque du Canto General. Mettons l’interprétation de l’œuvre en perspective contemporaine telle que Neruda nous y invitait :
« Non pour mordre l’oubli, …, non pour nous remplir le cœur d’eau salée, …, pour que nous soyons invincibles ».
Questionner les mots, les rythmes, les mélodies, les harmonies.
Et éviter de s’en servir pour la propagation d’idées en vogue, hors contexte.
Les années de dictatures ont marqué les chairs et les esprits ainsi que l’écriture des poèmes et de la musique.
Aujourd’hui, nous percevons une énergie vitale nourrie à la force collective, à la mobilisation des volontés positives, au questionnement de la force intérieure individuelle, au constat de légitimité des Droits universels de l’Homme sur toute forme d’arbitraire et d’invincibilité de l’homme sur tout mécanisme de dictature.
La musique de Theodorakis est tout le contraire de mélancolique, ténébreuse, guerrière, hermétique. Elle est d’une vitalité positive hors du commun.
Elle invite à ré-agir, à rester critique et éveillé.
Tout latino vous dira que son énergie spirituelle s’abreuve de ses montagnes, de ses fleuves, de ses arbres, des turbulences du continent, du gigantisme de l’océan.
Tous les témoins chiliens que l’on peut côtoyer demandent de dépasser les clichés historico-anecdotiques, les affects communistes du peuple au poing brandi.
Évitons à tout prix l’iconographie révolutionnaire esquissée sur des clichés. L’histoire fourmille d’actes de récupération d’œuvres artistiques sous prétexte d’idéologies collectives aberrantes.
Soyons dans le présent, prêts à agir. La création artistique est un rempart contre l’indifférence et l’arbitraire, contre la mort.
Comme l’exprime Mikis Theodorakis : Canto General, c’est Canto General.
Je souhaite donc que le regard porté sur cette œuvre soit celui d’un collectif d’individus contemporains, de femmes et d’hommes libres qui réalisent un projet fort par leur histoire de vie et leurs questions, qui saisissent et revêtent les forces de dépassement présentes dans l’œuvre de Neruda et Theodorakis.
Mauthausen
En janvier 1945, l’ensemble des camps dirigés depuis le bureau central de Mauthausen rassemblait plus de 85 000 prisonniers.
Le nombre total des victimes est inconnu mais la plupart des sources parlent de 122 766 à 320 000 morts pour le complexe dans son entier. Les camps formaient l’un des premiers grands complexes concentrationnaires nazis et furent parmi les derniers à être libérés par les Alliés.
Les deux camps principaux, Mauthausen et Gusen I, étaient les seuls camps du système concentrationnaire nazi en Europe classés « camps de niveau III », ce qui signifiait qu’ils étaient destinés à être les camps les plus durs à l’intention des « ennemis politiques incorrigibles du Reich » dont les prisonniers n’étaient pas censés revenir. Mauthausen-Gusen était plus particulièrement destiné à l’élimination par le travail de l’intelligentsia des pays occupés par l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.
En ce début juillet 1945, Iakovos Kambanellis et ses camarades sont toujours à Mauthausen, libéré le 5 mai.
Ils attendent que leur retour soit organisé. Les pays vainqueurs de la guerre négocient les conditions logistiques, sanitaires mais aussi politiques des évacuations. Les déportés ont désigné leur représentant national et chaque groupe, les Italiens, les Grecs, les Espagnols,… espère obtenir au plus vite le signal du départ vers sa patrie. Encore faut-il en avoir une : nombre d’Espagnols ne sont pas tout à fait certains de souhaiter rejoindre le pays du franquisme triomphant.
Kambanellis est un dramaturge grec, né à Naxos, en 1922. Jusqu’à sa mort en 2011, il n’a écrit que pour le théâtre.
« Mauthausen » est son unique récit.
Il l’a écrit en 1963 lorsque les tensions de la guerre froide lui ont laissé penser que le monde était en passe de renouer avec le pire. Il lui fallait témoigner.
Il a réécrit son livre en 1995 à la lumière d’autres textes qui avaient été publiés et qui lui permettaient d’être plus précis dans sa narration.
De la période concentrationnaire, Kambanellis dit peu. Il ne dit que ce qui lui revient sur son chemin du retour vers la vie.
Laëndi, Directeur Artistique, mai 2018 et 2025