Ásma Asmáton – texte de Iákovos Kambanélli
Ómorfī pólī – texte de Yiannis Theodorakis
Dakrismena matia – texte de Yiannis Theodoraki
Ena to helidoni – texte de Odyseas Elytis
|
Ιάκωβος Καμπανέλλης |
Cantique des cantiques Partition de la trilogie « Mauthausen »
|
|
Τι ωραία που είν’ η αγάπη μου, |
Qu’elle est belle, la bien-aimée de mon âme, |
|
με το καθημερνό της φόρεμα |
avec sa simple robe de tous les jours |
|
κι ένα χτενάκι στα μαλλιά. |
et un petit peigne aux cheveux. |
|
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία. … |
Personne au monde n’a connu une telle beauté. … |
|
Κοπέλες του Άουσβιτς, |
Jolies filles d’Auschwitz, |
|
του Νταχάου κοπέλες, |
jolies filles de Dachau, |
|
μην είδατε την αγάπη μου ? … |
n’avez-vous pas vu ma bien-aimée ? … |
|
Την είδαμε σε μακρινό ταξίδι, |
Nous l’avons vue accomplir un long chemin, |
|
δεν είχε πια το φόρεμά της |
dénuée de sa modeste robe |
|
ούτε χτενάκι στα μαλλιά. |
et de son petit peigne aux cheveux. |
|
Τι ωραία που είν’ η αγάπη μου, |
Qu’elle est belle, la bien-aimée de mon âme, |
|
η χαϊδεμένη από τη μάνα της |
comblée par les caresses de sa mère |
|
και τ’ αδελφού της τα φιλιά. |
et par les baisers de son frère. |
|
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία. … |
Personne au monde n’a connu une telle beauté. … |
|
Κοπέλες του Μαουτχάουζεν, |
Ô belles de Mauthausen |
|
κοπέλες του Μπέλσεν, |
et beautés de Belsen, |
|
μην είδατε την αγάπη μου ? … |
n’avez-vous pas vu ma bien-aimée ? … |
|
Την είδαμε στην παγερή πλατεία, |
Nous l’avons vue, sur la place glacée, |
|
μ’ ένα αριθμό στο άσπρο της το χέρι, |
avec un chiffre au creux de son poignet blanc, |
|
με κίτρινο άστρο στην καρδιά. |
et un astre jaune sur le cœur. |
|
Τι ωραία που είν’ η αγάπη μου, |
Qu’elle est belle, la bien-aimée de mon âme, |
|
η χαϊδεμένη από τη μάνα της |
comblée par les caresses de sa mère |
|
και τ’ αδελφού της τα φιλιά. |
et par les baisers de son frère. |
|
Κανείς δεν ήξερε πως είναι τόσο ωραία. … |
Personne au monde n’a connu une telle beauté. … |
Asma asmaton (Cantiques des cantiques) est le premier du cycle de quatre chants qui, ensemble, forment la Cantate (ou Ballade) de Mauthausen.
Ce cycle a été inspiré par un livre de Iakovos Kambanellis, racontant l’histoire de la vie et de la mort dans le camp de concentration nazi de Mauthausen, en Autriche, où un grand nombre de juifs et d’autres prisonniers étaient détenus pendant la seconde guerre mondiale.
Les quatre chants de Mauthausen ont un thème commun. Ils expriment dans une puissante musique la terreur, l’agonie et la torture des camps de concentration et ses effets sur l’esprit et les corps des détenus.
Le plus connu des quatre chants est Asma asmaton, qui décrit l’amour de deux prisonniers juifs dans le camp de concentration de Mauthausen et exprime l’angoisse du prisonnier en apprenant que la femme qu’il aime vient d’être emmenée dans la chambre à gaz.
Maria Farantouri, la chanteuse grecque, donne également une poignante interprétation de ce quotidien lamentable, qui a pour refrain « Comme mon amour est beau » et qui a été prise de la chanson de Salomon.
Également émouvant est le quatrième chant du cycle, Otan Teliosi o Polimos (Quand la guerre finit).
La vie dans la mort des juifs internés qui rêvaient de la fin de la guerre ou de la vie n’étant que des images surréalistes.
À cette fille qu’il a vue seulement à travers les barbelés qui les séparaient et les retenaient prisonniers « la fille avec les yeux terrorisés et ses mains gelées ». Il l’appelle : « ne m’oublie pas, attends-moi, et enfin nous pourrons nous rencontrer, nous embrasser et marcher dans les rues ensoleillées » paraissant normales avec des gens ordinaires… quand la guerre sera finie… ou quand nous nous rencontrerons dans la chambre à gaz.
L’exil est une situation pleine d’émotions : séparation, amour, anticipation, espoir,…
Le texte et la musique peuvent transporter l’auditeur vers son exil personnel.
Depuis l’Antiquité, déjà, l’immigration et l’exil occupent une place centrale dans la vie des Grecs.
Dans un mouvement continu, le personnage d’Ulysse demeure le symbole diachronique de tout un peuple, à travers ses traditions et sa musique.
Depuis l’Antiquité, des Grecs vivent et ont vécu exilés sur une terre étrangère ou dans leur propre pays, à cause d’une idée, d’une croyance ou, simplement, pour connaitre une vie meilleure.
Depuis la création des colonies de la Grande Grèce autour de la Méditerranée, jusqu’aux évènements tragiques vécus par les Grecs au 20e siècle, quand la population entière a été dispersée sur les cinq continents, ils vivaient comme Ulysse, conscients ou non de leur sort.
Cependant, pour eux, « les étrangers et les indigents, ce sont les enfants adoptifs de Zeus et on apprend qu’ils font aussi partie de notre famille » et
« il n’est rien de plus doux pour un homme que sa patrie et sa famille » (Odyssée, Chant VIII).
Ce caractère sacré de la personne de l’Étranger est également mis en évidence par l’hymnologie de l’Église orthodoxe qui attribue à Jésus-Christ le statut de l’Étranger :
« Donne-moi cet Étranger qui, dès son enfance, a été exilé comme un étranger.
Donne-moi cet Étranger que les siens ont condamné à mort, le haïssant comme un étranger.
Donne-moi cet Étranger qui sait accueillir en Lui les pauvres et les étrangers. »
Le livre « Mauthausen » raconte la détention de l’auteur dans le camp de concentration autrichien de 1943 à la libération du camp en mai 1945. L’auteur revient sur la survie et aussi pendant les mois qui suivirent la libération par les Américains, en posant la question primordiale, comme d’autres auteurs de survie (notamment Primo Levi) : « comment est-il possible de sauver une partie de l’humanité en plein cœur de l’enfer ? »
En 1942, en plaine occupation allemande, Iakovos Kambanellis cherche à fuir au Moyen-Orient. Décidé finalement à passer en Suisse, il finit par être arrêté à Innsbruck, en Autriche. Il est par la suite envoyé au camp de concentration autrichien de Mauthausen où il fut interné de 1943 jusqu’au 5 mai 1945, quand le camp fut libéré par les troupes américaines.
Voici d’ailleurs la façon dont Iakovos Kambanellis racontait, en 2005, comment il s’est retrouvé à Mauthausen :
« Un ami, un peu plus âgé que moi, m’avait convaincu que nous pouvions nous enfuir de Grèce pour le Moyen-Orient. Lui, plus déterminé que moi, a entrepris de trouver le moyen : c’était d’aller sur une des côtes de l’Attique où des caïques nous feraient passer en face. Ça n’a pas pu se faire car il s’est rendu compte qu’il fallait que chacun de nous ait 60 livres or. Quand il a vu que ça ne marchait pas, il a trouvé un autre moyen : nous passerions avec des papiers par la Yougoslavie et nous arriverions à Vienne où, avec les 200 marks que nous aurions gagnés en vendant des cigarettes, nous obtiendrions des faux passeports italiens. C’est ce que nous avons fait. Ils nous ont arrêtés à Innsbruck et ils nous ont emmenés dans une prison à Vienne. La chose la plus simple était de t’envoyer dans un camp de concentration. Et c’est ce qui s’est passé… »
|
Γιάννης Θεοδωράκης |
Belle ville C’est la première des quatre chansons du cycle Λιποτάκτες [Lipotaktes] (Déserteurs). |
|
Όμορφη πόλη φωνές μουσικές |
Belle ville, voix, musiques, |
|
απέραντοι δρόμοι κλεμμένες ματιές |
rues sans fin, regards volés, (1) |
|
ο ήλιος χρυσίζει χέρια σπαρμένα |
le soleil dore les mains qui se séparent. (2) |
|
βουνά και γιαπιά πελάγη απλωμένα |
Montagnes et chantiers, comme une mer immense. |
|
Θα γίνεις δικιά μου πριν έρθει η νύχτα |
Tu seras mienne avant que la nuit vienne |
|
τα χλωμά τα φώτα πριν ρίξουν δίχτυα |
avant que les pâles lumières jettent leurs filets. (3) |
|
θα γίνεις δικιά μου |
Tu seras mienne. |
|
Η νύχτα έφτασε τα παράθυρα κλείσαν |
La nuit tombe, les fenêtres sont closes, |
|
η νύχτα έπεσε οι δρόμοι χαθήκαν |
la nuit est tombée, les rues ont disparu. (4) |
(1) Les mots grecs dans ces lignes offrent des images visuelles et auditives, une stratégie poétique courante. Ils n’ont pas la structure grammaticale (par exemple sujet-verbe-objet) d’une phrase.
(2) σπαρμένα [sparmena] se traduit littéralement par « semé » ou « dispersé ». L’un ou l’autre de ces mots semble à lui seul susceptible d’entrainer une mauvaise interprétation en français et semble également insuffisamment imagé, sans parler du fait qu’il ne cadre pas avec la musique. On a donc adapté la traduction pour mieux représenter l’image correspondant aux mots grecs.
(3) νύχτα [nihta] et δίχτυα [dihtia] forment une rime presque parfaite en grec. La traduction littérale de ces mots en français (« nuit » et « filets ») ne fonctionne malheureusement pas.
(4) χαθήκαν [hathίkan] = « ils ont été perdus » ou « ils se sont perdus ». Le mot a les mêmes variations de sens qu’en français : égarer, se sentir désorienté/désespéré et mourir.
Au moment où il réussit à entrer dans le cercle des jeunes compositeurs internationalement reconnus, Theodorakis découvre la musique populaire grecque.
Sur les paroles de son frère Yannis, il compose, en 1950 ou 1952, un premier cycle de quatre chansons , Lipotaktes (Le déserteur) : Omorfī polī] en est la première.
Il écrira Epitaphios sur le cycle de poèmes de Yannis Ritsos.
Avec cette œuvre, il entame la renaissance de la musique grecque et suscite une révolution culturelle dans sa patrie dont les conséquences persistent toujours.
Elle a été enregistrée en 1961 par Theodorakis lui-même.
Et voici la version de Νένα Βενετσάνου [Néna Venetsanou], enregistrée en 1994.
À partir de là, la droite en Grèce considère Theodorakis comme une des plus grandes menaces pour elle.
Quand en mai 1963, elle assassine le docteur Grigoris Lambrakis, Theodorakis fonde la Jeunesse Démocratique Lambrakis (Lambrakides) et en prend la tête. Sous sa direction, elle devient la plus forte organisation politique en Grèce avec 50 000 adhérents.
En 1964, Theodorakis est élu au parlement et, avec les Lambrakides, il fonde plus de deux cents centres culturels dans le pays.
Il compose œuvre sur œuvre, en utilisant les plus beaux textes de la littérature grecque des XIXe et XXe siècles.
Édith Piaf aussi a chanté Theodorakis, à l’occasion du film Les amants de Teruel de Raymond Rouleau (France, 1961, sorti en 1962).
C’est un film étonnant, dansé, dont l’impression visuelle évoque certaines peintures surréalistes, de Dali notamment.
Il s’agit de fait d’une adaptation cinématographique du « ballet-drame » éponyme conçu et mis en scène par le même Raymond Rouleau, sur une musique de Theodorakis. Le ballet a été créé en 1959 à Paris par Ludmila Tcherina et sa compagnie, qui sont également les protagonistes du film. Nous ne savons pas dans quelle mesure les séquences dansées du film reprennent la chorégraphie du ballet original, ni si la musique du ballet est reprise intégralement dans le film (pour lequel des musiques de liaison, qualifiées au générique de « composition métaphonique », ont été demandées à Henri Sauguet) ; en tout cas le thème musical principal du film, qu’on entend dès le générique et qui revient ensuite comme un leitmotiv, a été ajouté.
C’est sur ce thème qu’Édith Piaf enregistre en 1962, sous la direction de Theodorakis lui-même, la chanson Les amants de Teruel, avec des paroles de Jacques Plante. Ce thème n’est pourtant pas une composition originale de Theodorakis, qui s’est en réalité contenté de recycler pour Les amants de Teruel une œuvre antérieure.
La chanson « Ena to helidoni » est extraite de l’oratorio que Mikis Theodorakis a composé en 1964 sur le poème-fleuve Axion esti du poète Odysseas Elytis, publié en 1960. Dans cette œuvre musicale ambitieuse, le compositeur a mêlé des musiques populaires, chorales, orchestrales, etc…
La chanson de l’hirondelle évoque, sous forme métaphorique, la lutte du peuple grec pour recouvrer sa liberté et la promesse de la Résurrection.
Elle a acquis la dimension d’un hymne de résistance pendant la dictature des colonels de 1967 à 1974.
Deux documents vidéo comptent parmi les témoignages les plus émouvants de la période de libération qui suivit :
- Le premier a été enregistré au Stade Karaiskaki à Falliro les 9 et 10 octobre 1974, peu après le retour triomphal de Theodorakis en Grèce le 24 juillet. Il vaut autant pour la prestation d’Antonis Kaloyannis que pour la ferveur extraordinaire du public, communiant littéralement dans la musique de Theodorakis.
- Le second, aussi célèbre, a été enregistré en 1977 au théâtre du Lycabette d’Athènes, avec un Grigoris Bithikotsis olympien.
